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C’EST LE VENT DE LA MER

Bébé-Salé, tu verras comment qu’un beau jour je sonnerai la gueule à cette bourrique-là ! Et faut s’en méfier, je te le dis, père Bébé-Salé ; si l’on se laisse faire, ce dégoûtant nous aura la peau à tous. As-tu du rhum, mon père Bébé-Salé ?

Bébé-Salé, pour l’ordinaire, émettait quelques grognements et quelques « tu vas fort », timidement murmurés.

― Ah vieille brebis, ricanait Fernand, ne fais pas la vache, donne, donne-moi la bouteille, bloody pard !

Alors Bébé-Salé disparaissait dans sa cambuse et remontait sur le pont. Il jetait un coup d’œil méfiant vers l’arrière, et partageait fraternellement, et à la régalade, le contenu du flacon !

L’alcoolisme semblait la vertu la plus digne d’être pratiquée par l’équipage de l’Ange-du-Nord. Dans les conversations entre les matelots, qui presque tous parlaient français, sauf un Espagnol et le Suédois Dannolt, on ne remarquait que les mots « pinter, pintocher, gobelotter », et les expressions comme : « se noircir la gueule, s’en mettre plein la lampe », etc., etc.

Gornedouin, le lieutenant, semblait le lien qui réunissait ce faisceau d’individus de races et de couleurs différentes. Il buvait avec l’équipage. Il buvait avec les habitants de l’arrière. C’était le truchement idéal pour interpréter les