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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

marins. Vlà pourquoi que M. Krühl m’a donné l’ordre de tirer dessus.

― T’as pu de rhum à la cambuse ? demanda le nègre.

― Ah dame non. Je n’touche jamais que la provision pour la journée.

― Ah oui, tu m’as l’air encore d’être dessalé, toi, répondit Fernand en haussant les épaules dans un geste de commisération infinie.

― Qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ? fit Bébé-Salé.

― Moi, continua le nègre sans s’occuper du vieux Breton. Moi, je vous dis que tous les gars de l’arrière ont les flubes. Je l’ai bien vu.

― Les tribordais au quart deboute, deboute, deboute !

La voix du lieutenant résonna en haut de l’échelle ; les hommes se précipitèrent sur leur ciré, car il brumait. On entendit les lourdes bottes racler contre les barreaux de fer et des pas pesants marteler le pont.

― Dis donc, Bébé-Salé, t’es pas exempt de quart, ma vieille, dit Fernand en attrapant l’échelle.

Le capitaine Heresa, enveloppé dans son caoutchouc doublé de flanelle rouge, sifflait en arpentant le pont.

La lune inondait la mer de clarté et ses reflets traçaient sur les flots un sillage lumineux dans la plus belle tradition des cartes postales repré-