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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

des psychologues. Les yeux du capitaine Heresa, en vérité très beaux et très expressifs, entraient peut-être pour beaucoup dans cette stupéfiante aberration. Joaquin Heresa était âgé de quarante ans et prouvait l’originalité de son mauvais goût en arborant des cravates aussi colorées qu’un jeu de pavillons à signaux et des chaussures jaunes d’une nuance beurre frais, définitivement démodées sur toute la surface de la terre.

Pour dîner avec Eliasar il avait revêtu un complet en molleton bleu et mis sur sa tête sa casquette de marine à galons dorés.

L’heure des liqueurs, nécessairement frelatées, n’attendrissait cependant point ces deux hommes qui savaient par expérience se méfier de l’alcool.

Entre chaque plat que « Céliné » apportait avec un respect accru par l’avis inattendu d’aller chercher du travail ailleurs, Eliasar avait confié au capitaine mille et une petites merveilles qui bridaient d’étonnement et de satisfaction les beaux yeux langoureux de l’irrésistible Espagnol.

― Virgen del Carmen Purisima ! J’ai toujours dit cé qué jé pensais de vous. On me racontait bien : « Cé pétit Eliasar n’est pas si intelligent qué vous lé croyiez. » Jé vous ai toujours défendu, mon ami, parce que jé lé pensais.

Eliasar, qui n’avait pas besoin d’une telle, approbation pour se sentir supérieur, buvait