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LE BAR DU « POISSON SEC »

vidu écœuré, à deux doigts de créer un cataclysme quelconque.

Pour ne pas déparer la collection des héros de cette aventure, le capitaine Joaquin Heresa buvait sournoisement, mais avec une volonté farouche.

Il ratiocinait d’ailleurs sur les progrès de l’alcoolisme et s’affirmait un militant convaincu de ses idées, en ne marchandant pas l’eau dans ses consommations.

L’arrivée des troupes anglaises à Rouen permit à Joaquin Heresa de caresser des espoirs que l’avenir ne favorisa point.

Le bar du « Poisson sec », bien que repeint à neuf, n’attira pas la clientèle des tommies.

Joaquin Heresa, campé sur ses courtes jambes devant la porte de son établissement, guettait la proie qui, moyennant une somme peu élevée, consentirait à ingurgiter chez lui une manière de whisky appelé pompeusement le Whisky des ancêtres.

Son cœur battait d’émotion quand il entendait un pas se rapprocher de son établissement. Il ne recevait guère, cependant, que la visite de quelques dockers chinois préoccupés déjà par des questions syndicalistes.

― Mujer ! grondait-il, puis il appelait sa bonne : « Cécilé ».

La bonne, traînant la savate, apparaissait lentement. Alors Joaquin Heresa, abattu par la