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UNE FRANÇAISE AU PÔLE NORD

blaient n’y point prendre garde, habitués qu’ils étaient aux froidures du septentrion. Les autres voyaient avec une sorte de terreur religieuse se raccourcir les journées, s’accroître les ténèbres qu’atténuaient cependant encore de longs crépuscules.

Qu’allait-il advenir de l’entrain et de la gaieté commune lorsque le voile du deuil serait définitivement retombé sur l’hémisphère boréal ?

Nerveuse et impressionnable, Isabelle de Kéralio n’en avait que plus de mérite à dissimuler ses propres sentiments. À mesure que l’hiver prenait possession de son empire, elle se multipliait pour relever le courage et la résolution de ses compagnons. Elle était de toutes les courses et s’employait utilement aux relevés géographiques de la côte. Lorsque, le 4 septembre, pour la première fois, à minuit, le soleil quitta le firmament, la jeune fille se fit une fête d’assister à ce départ de l’astre. Elle gravit, en compagnie d’Alain et d’Hubert, les contreforts d’un pic reconnu aux abords du cap Ritter, et demeura les yeux fixés sur le sud-ouest.

Par bonheur, la température était supportable, le ciel merveilleusement pur. Le soleil avait atteint la frange des collines dénudées qui font des échelons au pic Pelermann, haut de 3350 mètres. Un instant, il parut s’arrêter sur les glaces du mont Payer, voisin du géant et son inférieur d’un tiers environ. Puis, sa descente continuant, son disque se dilata, perdit son éclat, et s’attacha, gloire sanglante, à la pointe la plus élevée du mont. Enfin, de plus en plus élargi, au détriment de sa hauteur, devenu ellipse de cercle qu’il était, l’astre, se laissa tomber de l’autre côté de la Terre.

C’était le commencement de la nuit. À partir de ce jour, la lumière allait décroître avec une sinistre vitesse.