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de se manifester à d’effrayants niveaux. Et loin du sol de la patrie, loin de leurs parents, de leurs proches, de leurs amis, les deux infortunés Bretons, car ils étaient de Bretagne tous les deux, ne trouvaient pas même une place pour leur sépulture.

Il fallut donc procéder à ce dernier acte conformément à ce que le lieu et les circonstances accordaient de liberté. Le bras herculéen de Guerbraz tailla dans la glace du pack une fosse de quatre pieds à peine de profondeur. En la creusant, le vaillant marin pleurait et les larmes se congelaient en lourdes perles dans sa barbe et sur ses joues. Quelques unes même mirent de petits cristaux ternes sur le manche du pic qu’il brandissait.

Ces deux hommes étaient les deux premiers membres de l’expédition qui mouraient. Le deuil fut profond dans la petite troupe, et une sorte de découragement y pénétra.

Enfin M. de Kéralio eut assez de force pour parler, et put raconter sa douloureuse odyssée.

Mais auparavant on avait entendu de la bouche même d’Isabelle le récit de sa fuite si heureusement inspirée, et comment, guidée par l’amour filial, la jeune fille avait pu découvrir son père dans l’amoncellement sinistre du hummock.

Mlle de Kéralio fut brève dans sa narration.

Dès qu’elle avait lu la missive contenue dans la bouteille abandonnée, et qu’un hasard avait fait émerger si heureusement au-dessus de la plaine glacée, Isabelle, n’écoutant que son affection débordante, avait couru vers le nord-est, mue par un secret pressentiment. Elle avait devancé ses compagnons et s’était jetée résolument dans la partie de l’icefield dont les exhaussements et les monticules indiquaient qu’elle