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Il bondit sur les ballots de vivres, plus spécialement sur la caisse qui contenait la viande fraîche, et d’un coup de crocs entama la toile qui la couvrait, enfonça son museau effilé dans la caisse et l’en retira, traînant un quartier d’un kilogramme au moins de poids.

L’exemple était beaucoup trop encourageant pour n’être pas suivi.

En un clin d’œil toute la bande s’élança à la curée.

Et, avec une sagacité surprenante, afin de ne point attirer l’attention des explorateurs endormis, ils observèrent un profond silence. Pas une seule voix, pas un cri ne s’éleva du groupe des assaillants.

Mais alors il se passa une scène vraiment épique.

C’était le moment où maître Salvalor, las de dormir, venait de se risquer à la fraîcheur du matin.

Il n’eut pas plus tôt aperçu la déprédation commencée que, sans perdre une seconde, il se précipita sur la bande entière, culbuta les deux plus avancés et, escaladant le traîneau, fit tête à tous les agresseurs.

Ce fut un coup de théâtre absolument imprévu.

Aucun des grœnlandais ne s’attendait à cette intervention.

D’abord, ils battirent en retraite, ne se fiant point à leur force, ou plutôt ignorant celle de l’adversaire si subitement apparu. Pourquoi donc, oublieux de la solidarité qui, de tout temps, a régné parmi ses pareils, ce « chien de luxe », cet aristocrate, se mettait-il à la traverse de la populace ? De vieux restes de haines séculaires entre classes riches et classes pauvres firent brusquement éclater leur fureur dans les veines de ces parias des glaces, condamnés au servage du licol. Ils regardèrent avec de sourds grondements ce descendant des