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CHAPITRE XVIII

M. X…, dont j’ai parlé, et M. Z…, Moudir (chef) de la régie des tabacs, tous deux Européens d’origine, nous ont invités à déjeuner. Le repas est simple, mais très gai. Ces messieurs ont si rarement occasion de causer de l’Europe ou tout au moins des rives du Bosphore, l’avant-poste de l’Europe ! Ils sont ici dans un véritable lieu d’exil. Ils sont en quelque sorte internés dans la ville, car pour de hauts fonctionnaires les environs mêmes de Bitlis sont très dangereux ; on ne peut y faire de promenade hygiénique que sous bonne escorte ! Quant au travail administratif, il se perd en questions de pots-de-vin ; les routes de M. X… sont aussi imaginaires que la fameuse route de Van à Erzeroûm ; quant à M. Z…, comment défendra-t-il les intérêts de la régie des tabacs quand le Vali lui-même offre à ses visiteurs du tabac de contrebande ? Au demeurant, allez imposer le monopole aux tribus kurdes quand vous pouvez à peine obtenir d’elles la rentrée d’un impôt !

Nous avions déjeuné à la régie ; près de là se trouve un vieux cimetière d’où la vue d’ensemble sur Bitlis est ravissante. C’est de là que j’ai pris la photographie dont j’offre au lecteur la reproduction[1]. Si imparfaite soit-elle, elle donne du moins une vague idée de cette ville à laquelle non seulement sa disposition si pittoresque, mais aussi le genre de construction de ses maisons donnent un cachet tout particulier.

Il n’est plus question d’habitation en terre comme à Van. Le pays fournit en abondance une pierre volcanique[2] d’un brun-rouge clair ; cette pierre, au moment où on la tire de la carrière, se laisse aisément débiter à la hachette, mais durcit ensuite à l’air. Elle est employée dans la construction de toutes les maisons, et ses blocs régulièrement taillés donnent aux habitations

  1. J’ai fait exécuter une aquarelle d’après cette photographie qui, fort endommagée par le voyage, n’a pu donner à l’artiste toutes les indications désirables ; en particulier elle ne rendait plus aucunement les effets plongeants qui sont la caractéristique de Bitlis.
  2. Je ne sais comment Brant et Southgate (cités par Ritter’s Erdkunde, x, 686) donnent cette pierre comme une pierre de grès.