M. X…, dont j’ai parlé, et M. Z…, Moudir (chef) de la régie des tabacs, tous deux Européens d’origine, nous ont invités à déjeuner. Le repas est simple, mais très gai. Ces messieurs ont si rarement occasion de causer de l’Europe ou tout au moins des rives du Bosphore, l’avant-poste de l’Europe ! Ils sont ici dans un véritable lieu d’exil. Ils sont en quelque sorte internés dans la ville, car pour de hauts fonctionnaires les environs mêmes de Bitlis sont très dangereux ; on ne peut y faire de promenade hygiénique que sous bonne escorte ! Quant au travail administratif, il se perd en questions de pots-de-vin ; les routes de M. X… sont aussi imaginaires que la fameuse route de Van à Erzeroûm ; quant à M. Z…, comment défendra-t-il les intérêts de la régie des tabacs quand le Vali lui-même offre à ses visiteurs du tabac de contrebande ? Au demeurant, allez imposer le monopole aux tribus kurdes quand vous pouvez à peine obtenir d’elles la rentrée d’un impôt !
Nous avions déjeuné à la régie ; près de là se trouve un vieux cimetière d’où la vue d’ensemble sur Bitlis est ravissante. C’est de là que j’ai pris la photographie dont j’offre au lecteur la reproduction[1]. Si imparfaite soit-elle, elle donne du moins une vague idée de cette ville à laquelle non seulement sa disposition si pittoresque, mais aussi le genre de construction de ses maisons donnent un cachet tout particulier.
Il n’est plus question d’habitation en terre comme à Van. Le pays fournit en abondance une pierre volcanique[2] d’un brun-rouge clair ; cette pierre, au moment où on la tire de la carrière, se laisse aisément débiter à la hachette, mais durcit ensuite à l’air. Elle est employée dans la construction de toutes les maisons, et ses blocs régulièrement taillés donnent aux habitations
- ↑ J’ai fait exécuter une aquarelle d’après cette photographie qui, fort endommagée par le voyage, n’a pu donner à l’artiste toutes les indications désirables ; en particulier elle ne rendait plus aucunement les effets plongeants qui sont la caractéristique de Bitlis.
- ↑ Je ne sais comment Brant et Southgate (cités par Ritter’s Erdkunde, x, 686) donnent cette pierre comme une pierre de grès.