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CHAPITRE XVI

Le hameau de Derlachenne où nous cherchons abri pour la nuit est fort pauvre ; Van nous aurait-il gâtés ? nous trouvons qu’une écurie est un pauvre gîte !


22Novembre
Départ 8 h. matin.

Le Père Duplan nous quitte pour rentrer à Van ; est-ce au revoir, est-ce adieu ?

À 8 heures, en marche. Le terrain forme une sorte de plateau ondulé ; partout une nappe indéfinie de neige, à laquelle un ciel couvert donne des reflets sinistres[1].

Au sortir de Schahgueldi, nous croisons M. Koloubakine, qui revient de Kars. Sa figure, pelée par le froid et le soleil, nous ouvre de peu agréables perspectives !

Le Consul nous donne des nouvelles de Kérim. À la fin de notre séjour à Van, le bruit courait que ce fameux brigand avait été fait prisonnier ; nous en plaisantions un peu avec son ami Guégou ; mais Guégou nous répondait en secouant la tête : « Kérim ne pas pris ; ne jamais prendre Kérim », et il accompagnait sa phrase d’un sourire de dédain. Guégou avait raison ! Kérim vient de faire un coup de maître. Cerné dans la montagne par un détachement de cavalerie et 300 fantassins, il a, avec cinq hommes, tenu tête tout un jour à ces troupes ; trois de ses hommes furent tués, lui-même fut blessé. N’importe, il parvint avec son fameux associé Ibrahim à franchir les lignes ennemies et à passer en Perse. Il va devenir plus légendaire que jamais !

Quelque temps auparavant, on l’avait cerné dans une maison : on se croyait sûr de le prendre ; mais, pendant la nuit, il découpe avec son kindjar une ouverture dans le mur en terre de la maison où il est cerné, et comme il aurait eu honte de s’esquiver en vulgaire fugitif, il poignarde cinq hommes et file avec leurs munitions.

Au demeurant, Kerim est galant homme. Lorsqu’il pratiquait encore aux environs de Tiflis, sa bande arrêta une société de

  1. Texier, qui a parcouru ce chemin à une meilleure saison, dit : « Tout le terrain que nous parcourons est inculte ; il est formé de collines arrondies appartenant toutes à la formation de craie. » Texier, Arménie, ii, 5.