Il parait que notre présence inquiète énormément les Turcs, qui ont la manie de voir dans tout voyageur un espion. Nous sommes prêtres ; or, la dernière lettre du Pape aux Arméniens a beaucoup remué le pays, et peut-être croit-on que notre présence a un rapport avec cette lettre. Nous avons avec nous Kascha-Isaac, qui est Chaldéen ; or le Vali, grâce à de vilaines manœuvres où il s’était engagé de complicité avec les Kurdes, a en ce moment de grandes difficultés avec les Chrétiens du Hakkiari. Enfin, nous sommes venus, guidés par un employé de la régie, qui est en même temps au service de Scheikh-Hamid, l’un des grands seigneurs du pays ; or, celui-ci, nous l’ignorions absolument, est l’ennemi mortel du Vali. Nous sommes donc hautement suspects.
En attendant les événements, nous passons gaiement notre soirée au consulat. La maison est joliment arrangée ; on sent le besoin de rappeler la patrie absente, par mille gravures et souvenirs patriotiques. Mme Koloubakine est une toute jeune femme à laquelle il faut une bonne dose de courage pour s’habituer à ce milieu où la société est presque nulle. Quant au Consul, c’est un homme énergique, jeune encore, et qui a certainement un grand avenir.
Nous nous installons chez les Dominicains. Le Père Rhétoré et le Père Duplan nous reçoivent comme de vieux amis : on devient vite intimes dans ces lointains pays, lorsqu’on est exposé aux mêmes dangers, aux mêmes tracasseries, et qu’un même caractère sacerdotal vous réunit d’avance.