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CHAPITRE VII

la période héroïque de la conquête, il lui manque ce charme que donne à toute œuvre l’action vivante et personnelle des hommes qui y contribuent. Néanmoins, vue à l’œuvre, la Russie apparaît comme une puissance redoutable.

Son peuple, vivant durement et entretenu dans le culte du Tzar, donne des soldats aguerris et fanatisés. Le Russe plus instruit, luttant sans cesse contre un climat inhospitalier, parcourant à chaque instant d’immenses espaces déserts, passant la moitié de sa vie campé dans un coin perdu de l’immense empire, garde lui-même sous son vernis européen des habitudes rudes ; sa vie aventureuse développe en lui des instincts de nomade, comme s’il subissait à son insu les mêmes influences qui poussent sans cesse d’un campement à un autre les innombrables populations vagabondes de l’empire.

L’espace appelle l’espace, et la Russie a la maladie de l’agrandissement ; il lui faut toujours conquérir. Dans la hâte de ses envahissements, ses ouvriers ne développent que très imparfaitement les richesses des pays annexés ; cette exploitation hâtive ne se suffit bientôt plus ; il faut aller plus loin, conquérir encore ; le besoin, le tempérament national y poussent.

Aussi bien ce Russe, habitué aux espaces immenses, vivant à la rude, tourmenté d’un incessant besoin d’expansion, appliquant sans relâche les inventions modernes au perfectionnement de sa puissance d’attaque, me semble-t-il destiné à devenir l’envahisseur des temps modernes. Sur des populations musulmanes habituées à la servitude et faites pour elle, son règne est un progrès. Mais là où dans sa marche il subjuguera des peuples chrétiens, il inaugurera avec sa domination le règne de la tyrannie et du mépris de l’individu. Il en est qui admirent passionnément la Russie ; ce que j’en ai vu me fait involontairement songer qu’elle occupe aujourd’hui les pays d’où sont sorties les hordes barbares qui ont ravagé l’Europe, et je me prends à croire que, modifié sans doute sous l’influence des siècles et du Christianisme, le génie de ces hordes a passé dans le sang du peuple russe ; et, je le dis