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Le roman du révolutionnaire

Camille Bias parle un peu comme certains peintres peignent, à petites touches. La figure de Blanqui s’évoque peu à peu devant moi… Sous le révolutionnaire, j’aperçois l’homme.

— Le père de Blanqui avait eu, je ne sais plus, sept ou huit filles. Les aînés avaient toutes leurs diplômes… Les deux dernières n’avaient pu recevoir la même instruction… Blanqui, à la mort de son père, était professeur à Louis-le-Grand… Il était tout jeune… Il se mit, en dehors des cours, à donner des leçons pour payer l’instruction de ses deux cadettes.

» Or, il arriva ceci. Dans l’une des familles, où il allait donner des leçons à un jeune homme, il y avait une jeune fille qui s’éprit de lui. C’est ainsi qu’il se maria… Mme Blanqui était très belle, mais elle avait une maladie de cœur… La vie mouvementée de son mari n’était pas faite pour la guérir. Elle mourut subitement pendant qu’il était à Belle-Isle… Les deux sœurs partirent pour le prévenir doucement… Mais le directeur de la prison les avait devancées. Il avait brusquement appris la nouvelle au prisonnier. Le coup avait été si dur que Blanqui était tombé en catalepsie…

» Mme Blanqui était riche. Il ne voulut jamais jouir de sa fortune. Il la remit toute à son fils…

Les 25 000 adresses

Dans la mémoire de Camille Bias, les faits sont restés gravés, mais ils lui apparaissent sur un même plan. Le recul des années l’empêche de distinguer dans quel ordre ils se sont succédé… Elle reprend :

— Blanqui avait eu l’idée de répandre une feuille vengeresse contre l’Empire… Lui-même, il avait préparé, de sa main, les vingt-cinq mille adresses des personnes à qui il voulait l’envoyer. Il avait acheté sept presses pour l’imprimer. L’une était chez un typographe nommé Annoy, un caractère d’une énergie et d’une droiture antiques, une autre chez Chaumette, une autre chez Scénique, une autre à la maison… Tout semblait prêt pour la réussite. Un beau jour, Blanqui arriva.

— « J’ai été reconnu et désigné à l’enterrement de Cossidières, me dit-il. Je ne reviendrai pas chez vous. Je vous compromettrais…

» De fait, je ne l’ai plus revu. Il avait été trahi par une personne rencontrée à la maison. Cette personne qui avait été jadis une amie très intime de Félix Pyat et qui était devenue celle de Charles V…, secrétaire d’Émile de Girardin,