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Mon émotion est grande. Je cherche à détourner la conversation.

Le nom de Blanqui se mêle soudain aux paroles que nous prononçons :

— Vous avez connu Blanqui ?

— Si je l’ai connu !

Je me raccroche à ce nom comme à une branche… J’interroge. Camille Bias oublie le présent ; elle revit le passé, rajeunie, presque fière… Et, à bâtons rompus, au hasard du souvenir :

Un croquis de Blanqui

— Je connaissais Mme Antoine, une des sœurs de Blanqui… Elle me parlait souvent de lui… À ce moment, nous habitions faubourg Saint-Denis. Mon mari était pharmacien. Un jour, il monte à l’appartement : « Veux-tu voir Blanqui ? » — « Oui. » — « Il est dans la boutique. Un de mes clients, ouvrier horloger, vient de l’amener. »

Je descendis. Je m’attendais à voir un grand personnage, imposant, à la Ledru-Rollin. Je vis un petit bonhomme, sec, maigre, aux yeux d’une fixité extraordinaire… À cette époque, il se cachait de la police… Sa sœur me demanda de le recevoir chez moi.. Chez elle, c’était impossible !

» Elle avait un atelier de jeunes filles, et elle aurait craint les bavardages… Blanqui s’installa à la maison. Il passait pour l’oncle de mes enfants. Il ne buvait que de l’eau, et quelquefois du lait. Il ne se nourrissait que de légumes cuits à l’eau. À peine, de temps en temps, acceptait-il un peu de viande grillée. Il était la sobriété en personne… Le fond de son caractère, c’était l’horreur du mensonge… Quand il s’était aperçu que quelqu’un avait menti devant lui, il ne voulait plus le voir… Il vivait avec le souvenir de sa femme, qu’il avait adorée…