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AU JOUR LE JOUR
UNE AMIE DE BLANQUI

Petite, un peu tassée, l’air d’une mère-grand, mais les yeux jeunes, très vifs et très bons, elle se présenta chez moi, l’autre matin, avec un mot de François Coppée. Le poète me demandait pour elle l’appui du journal — un bout d’article pour annoncer la représentation à bénéfice que quelques amis préparent à son intention…

— Je suis Camille Bias, me dit-elle timidement…

Camille Bias ! Je me rappelais des romans lus jadis, toute une série de romans…

Et j’eus comme un serrement de cœur en voyant devant moi ce vieux confrère, cette femme de soixante-seize ans, presque tremblante, comme si elle avait redouté un refus.

Je promis de faire l’article. Elle me remercia ; puis, de peur d’être indiscrète, car elle avait vu d’autres visiteurs dans l’antichambre, elle partit.

J’avais flairé une misère plus noire encore que peut-être ne le soupçonnait Coppée. Je voulus en avoir le cœur net. Hier, j’allai à l’adresse que m’avait indiquée Camille Bias.

La mansarde

49, rue de Paradis, au sixième étage, une mansarde, à laquelle en accède par un étroit escalier, pareil à une échelle. Je frappe. La porte s’ouvre. Camille Bias me reçoit, s’excuse de m’avoir fait monter si haut ! Mais elle y monte bien, elle !

Deux lits de fer, le sien, celui de sa fille infirme. Deux chaises, un poêle de fonte, une espèce de table, couverte de manuscrits… Sur la cheminée, une demi-douzaine de volumes… Un jour faible tombant d’un vasistas, éclaire ce logis. C’est le logis de la détresse — de la détresse digne, cachée, qui ne veut pas se plaindre… Rien qui rappelle un passé aisé, mais rien non plus qui cherche à exciter la pitié. Ce n’est pas la misère, c’est la pauvreté…

Nous causons. Camille Bias me dit sa vie, toute de labeur, la famille qu’il a fallu élever, les petits enfants qui n’ont plus de père et qu’il faut soutenir… Je n’ose insister. Je devine que cette pauvre femme veut me cacher, avec une pudeur touchante, les durs sacrifices qu’elle fait encore, vivant sous les toits, se privant de tout, pour que les siens aient du pain…