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MONSIEUR AUGUSTE

le seul groupe valsant qui voulait bien accompagner le pianiste, quand tout le monde l’abandonnait ; un silence étrange régnait dans le salon du bal ; on n’écoutait pas la musique, on la suivait. Octave tournait sur ses pieds avec une précision brusque, mais esclave de la mesure ; Louise semblait valser avec les pieds de son valseur, et son beau sein, trahi par l’échancrure de la robe, s’agitait comme une double gerbe de lis au souffle de l’ouragan. La figure du jeune homme aurait exigé le pinceau d’un Salvator-Rosa de salon ; elle était effrayante et superbe, à un degré qu’aucun comédien ne peut atteindre quand il sculpte ses joues devant un miroir, pour effrayer le bon public. Octave, lui, ne commettait pas cet artifice dramatique avec préméditation ; il se servait, à son insu, de sa furie intérieure pour exprimer sur son visage tout le délire de ses sens : il ne voyait rien, il se croyait seul au milieu de cette foule qui ne voyait que lui ; ses yeux ne quittaient pas la jeune fille, et ses lèvres convulsives, sa respiration haletante, son teint embrasé achevaient d’exprimer tout ce qu’une inexorable passion peut dire dans un regard de feu acharné sur une vierge de seize ans.

On entendit une voix qui disait d’un ton brutal :

— Monsieur le pianiste, assez !