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MONSIEUR AUGUSTE

arbre, dans une pelouse émaillée de fleurs sauvages, il fauchait avec son stick les plus hautes, et jouait au jeu de Tarquin.

Un grand canot, joyeusement pavoisé, descendait lentement la rivière avec de jeunes et jolies passagères, qui chantaient la délicieuse mélodie de Monpou : Exil et retour ! c’était un Décaméron à la voile. Rien n’était doux à entendre comme ce chœur de timbres d’or, accompagné par le frémissement des jeunes trembles et le bruit de l’eau, déchirée par la proue de fer. Les petits paysans accouraient pieds nus ; ils regardaient et écoutaient, dans une extase naïve, et quand la vision eut disparu, ils s’en retournaient tristes, comme si un malheur les eût frappés subitement.

Auguste avait lancé au canot un coup d’œil indifférent ; il continuait le jeu de Tarquin.

Un observateur de profession aurait dit, en voyant ce jeune homme : « Il a fait une perte énorme à la Bourse, ou il a été trahi par sa maîtresse, ou il médite un attentat, comme Tarquin. »

Trois erreurs !…

Après une heure ainsi perdue à décapiter des herbes, Auguste fit un de ces gestes, énergiques qui signifient : j’ai pris une résolution.

Une longue pensée, entretenue dans la solitude,