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MONSIEUR AUGUSTE

choisit la plaine, la montagne, l’arbre, le vallon, le nuage pour ses changements de domicile ; et tu veux te faire oiseau de basse-cour et barbotter entre quatre murs ! toi, l’artiste de la liberté !…

— Moi ! l’artiste de l’idéal, dit Octave, avec enthousiasme ; mon ami, tu ne me connais pas. Si j’avais la certitude de mener la plus ennuyeuse des existences en épousant Louise, je n’hésiterais pas à subir le sort le plus affreux que puisse subir un mari. Je cherché l’idéal, c’est-à-dire le beau, et si, en courant à sa découverte, je puis l’embrasser un instant, cet instant sera le siècle de ma vie, et j’aurai même plus vécu que Mathusalem. Écoute, mon cher Auguste, je suis de l’école du grand artiste Antonio Van Dyck. Cet illustre maître aimait une belle comtesse génoise, et il l’aimait comme nous aimons, nous. Cette femme fut mariée au comte Brignole. Le soir des noces Van Dyck, agonisant, vit passer devant lui, dans la galerie du palais Durazzo, la jeune épouse et son mari, et montrant du doigt l’heureux comte, à son ami Pallavicini, il lui dit ces mots sublimes : « Ma vie, pour un quart d’heure de cet homme !… » Tu vois bien, mon petit Auguste, que toutes ces histoires de chaîne, de liberté, d’aigle qui change de, domicile, d’oiseau de basse-cour, ne signifient rien avec des hommes de notre trempe. Oui,