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MONSIEUR AUGUSTE

— Oui, oui, je sais bien ce que je dis… Pourquoi ouvres-tu de grands yeux, poursuivit Auguste : un amour comme le tien diminue l’amitié… moi, l’amitié me suffit… C’est si beau l’amitié !… Un homme qui prend femme chasse l’ami le lendemain du mariage… Voilà ce que je crains.

— Ah ! mon cher Auguste, dit Octave avec effusion, cette crainte est absurde. L’amitié complète l’amour.

— Enfin, tu réfléchiras, reprit Auguste ; ton mariage n’est pas fait ; j’ai encore de l’espoir… c’est que, vois-tu, je suis l’ennemi né du mariage. C’est un état contre nature : aussi les animaux, dont l’instinct est infaillible, ne se marient pas. Tu aimes une femme aujourd’hui ; mais cette femme sera une autre femme demain et, dans quelques jours, une nouvelle encore. Aujourd’hui, elle ne te montre que ses qualités ; demain elle commencera, mon ami, à te dérouler la série de ses défauts. Si on pouvait te faire voir en 1860 la femme que tu aimes en 1858, tu changerais ton oui nuptial en non. Le célibat ne connaît pas les regrets ; c’est le mariage qui les inventa. Tu es libre comme l’air ; ton pied n’a point de chaînes ; tu es le maître de toi ; ta volonté n’a pas de contradiction ; tes projets ne subissent aucun contrôle, tu es comme l’aigle qui vole à sa fantaisie et