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d’une lance, et jouait au jeu primitif de la marelle avec Epéus l’ébéniste ; ils promenaient leurs six cailloux verts et blancs de la pointe au centre des lignes tracées sur le sable, lorsque tout à coup Palamède s’ennuya de ce jeu stupide inventé par Adam au bord d’un fleuve de l’Éden, et comprit qu’il y avait quelque chose de mieux à faire en ce genre avec des raies et des cailloux. Epéus lui dit : Vous avez raison. Epéus était Laconien, et parlait peu, more Laconum. Encouragé par l’ébéniste, Palamède, après des loisirs aussi nombreux que les vôtres de Besika, se mit un jour à tracer sur le sable (y a-t-il du sable ?) soixante-quatre cases. Cela fait, il sourit à son œuvre informe, et, courant au rivage, il choisit dans les algues, vilior algâ, une certaine quantité de cailloux blancs comme l’ivoire et verts comme les huîtres de Bordeaux. Les tours d’Ilium donnèrent l’idée des tours d’échecs ; le cheval de bois, déjà médité par Epéus, donna l’idée d’une autre pièce ; Ménélas donna l’idée du fou ; Clytemnestre et Agamemnon, Priam et Hécube, donnèrent l’idée des deux rois et des deux reines. Les Grecs et les Troyens se personnifièrent dans les pions. Ces pièces une fois trouvées, Palamède donna à chacune une marche, un esprit, un caractère, une attribution ; il y eut bien encore des tâtonnements et des essais pour régulariser les parties ; mais le plus difficile était fait. La mêlée s’engagea, les combinaisons surgirent de toutes les cases ; le reste fut accompli, comme toujours, par le plus intelligent des génies, le hasard. Enfin, les crocs-en-jambes des lutteurs suggérèrent l’idée du premier gambit. Gambito, croc-en-jambes, disent encore les Italiens.

Vous figurez-vous la joie des soldats grecs, lorsque Pala-