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l’Archipel, vous qui avez consacré six mois de navigation, à chercher une île absente ! Quant à moi, j’attends avec une vive impatience votre manuscrit, que, dans votre sagesse, vous ne livrerez jamais à l’impression, pour éviter les controverses des savants sédentaires et des archéologues paralytiques, ces fléaux des voyageurs. Rappelez-vous toujours ce pauvre et illustre Dumont-Durville ; il avait mesuré la hauteur des vagues dans les régions polaires, et les marins d’Asnières et de Chatou lui soutinrent qu’il avait très-mal mesuré. Il me tarde de connaître votre opinion sur Agamemnon ; ce roi m’a bien tourmenté dans ma vie, et j’espère que vous aurez recueilli sur son compte des renseignements qui me donneront quelque repos. Si, en recevant cette lettre, vous n’étiez pas fixé sur plusieurs points de cette histoire, et si le Pruth n’est pas repassé, veuillez bien étudier pour mon compte, sur les lieux, la question d’Agamemnon ; voici une note que je vous envoie ; je veux voir si vous la ratifierez ; ne l’envoyez pas à Constantinople surtout : l’équinoxe est là ; je suis pressé.

D’abord, je vous le confesse humblement, je n’ai aucune estime pour Agamemnon ; il a beau me dire : Je suis le roi des rois, je suis le pasteur des peuples, cela ne m’en impose point, et mon opinion ne varie pas. Quand je lis Homère, quand je me récite Virgile, j’oublie tout ; je me laisse entraîner avec délices par le divin charme d’une poésie qui n’a plus trouvé son égale au monde, mais quand cette mélodie céleste a cessé, et que l’histoire reste dans sa nudité primesautière, comme un plat libretto d’opéra qu’un orchestre de Rossini n’accompagne plus, alors on peut juger sévèrement