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Il n’y a que des rois sauvages capables d’un pareil dévouement.

Le capitaine fit signe au roi de relever la tête, et lui tendit la main en lui présentant Lilia.

Les sauvages, entre autres qualités de leur race, ont une perception féline qui devine tout.

En voyant Lilia, le roi comprit sur-le-champ le but de cette expédition armée ; il fit un geste amical qui signifiait :

— Attendez-moi un instant.

Et courant vers son palais, il en ramena le noble prisonnier espagnol dans un état de maigreur qui peut-être lui avait sauvé la vie.

L’infortuné d’Elbonza, qui probablement se résignait, chaque matin, à être servi, le soir, sur la table du roi, s’élança au col de sa belle-fille, et lui dit :

— Je te pardonne.

La scène fut touchante.

Le capitaine donna au roi un fusil à deux coups et une bonne provision de poudre et de balles. Tous les sauvages baisèrent les mains des matelots, et Lilia, égrainant un collier de perles fines, le distribua aux princes et aux courtisans.

On devinerait, sans qu’il fût besoin de le dire, que d’Elbonza et sa belle-fille rentrèrent dans leurs possessions de la Havane, après cette expédition si heureusement accomplie ; mais ce qu’on ne devinerait pas, c’est que Lilia garda son veuvage toute sa vie, et que, même dans l’âge le plus avancé, elle se rajeunissait chaque jour, en respirant les parfums d’un impérissable souvenir, et que sa vieillesse n’avait pas retranché un seul quartier de sa lune de miel.