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Aussitôt l’Étoile polaire dérapa et fit voile vers les parages désignés.

— Enfants ! dit le capitaine aux matelots, nous allons pêcher une baleine qui rendra trois onces d’or à chacun de vous.

L’équipage exécuta toutes sortes de fandangos sur le pont. Tous connaissaient leur capitaine comme un homme qui ne promettait jamais en vain.

Quelques jours après on débarqua, d’après les indications de la belle veuve, tout juste sur le rivage où l’embarcation de d’Elbonza avait échoué. La mer y était fort calme en ce moment. Lilia reconnut très-bien tous les accidents de terrain et de forêt sur lesquels il fallait conduire l’expédition ; elle s’était placée au centre de la troupe, et recommandait bien de ne faire usage des armes qu’à la dernière extrémité, de peur qu’une maudite balle ne vînt atteindre sa bonne et sauvage libératrice dans la hutte du harem royal.

Quand l’équipage de l’Étoile polaire parvint au carrefour du bois où s’élevaient les huttes de la tribu, le roi, les princes, les courtisans, les gardes, les sentinelles dormaient sur le gazon, à l’ombre des liquidambars.

Le capitaine, armé de deux pistolets, réveilla familièrement le roi, qui sauta sur son arc en poussant le cri de guerre. Les marins poussèrent de grands éclats de rire, en voyant l’attitude belliqueuse prise par les sauvages réveillés en sursaut.

Le roi, sentant bien que toute résistance était inutile devant soixante armes à feu, laissa tomber son arc, inclina la tête, et s’offrit seul en holocauste pour le salut de son peuple.