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verain. La femme sauvage embrassa l’Espagnole, lui montra le ciel où se tournent tous les êtres, et, après l’avoir rassurée par les gestes les plus expressifs, elle lui dit de se confier sans crainte à ce nègre, et d’aller où il la conduirait.

Lilia bondit de joie, comme la gazelle qui a découvert une fontaine, et, rendant sa vive caresse à la femme sauvage, elle prit dans les secrets de sa toilette deux boucles de diamants qui bouleversèrent de bonheur la pauvre sultane, et, sautant lestement sur la pirogue, elle brisa elle-même l’amarre, et le courant de la rivière emporta la voyageuse et le rameur, avec cette rapidité qu’ont inventée, dans l’Inde, les courriers-nageurs, Swimming-Corriers.

La flèche du sauvage n’est pas plus agile que sa pirogue lancée à l’eau. Lilia était déjà bien loin de son péril au bout d’une heure ; elle s’épanouissait de joie, en songeant au miracle de sa délivrance, lorsqu’à son tour elle se frappa le front et poussa un cri de douleur. Hélas ! il y a des occasions où l’égoïsme est permis, et où la sûreté personnelle fait tout oublier, même un parent, un ami ! Lilia se souvenait un peu trop tard de son beau-père d’Elbonza, égoïstement délaissé dans la tribu des cannibales ! Que pouvait-elle faire ? remonter la rivière ? chose impossible ; ces sortes de rivières ne se remontent pas ; aborder dans quelque anse, et faire vingt milles à pied dans des forêts vierges pour délivrer son beau-père ? chose plus impossible encore. Il ne restait à Lilia d’autre ressource que celle de s’incliner devant la fatalité : elle s’inclina donc et recommanda son beau-père à la sollicitude du ciel.

Le soir, un peu avant le coucher du soleil, la pirogue