Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À cette demande, le mari bondit, comme si la sainte-barbe de son navire eut éclaté.

Il regarda le plafond, il regarda sa femme, il se regarda, et chercha une phrase honnête pour répondre ; la phrase demeura toujours absente, et madame de Saint-Saulieux agita sa tête d’un air de reproche à fendre le cœur d’un mari.

L’infortuné marin, assis sur un fauteuil, comme un criminel devant son juge, frappait son genou droit avec son poing, et le parquet avec son pied, ce qui donne toujours une contenance lorsqu’on n’a rien à dire pour une justification.

— Mais à quoi donc pensiez-vous à Ceylan ? — demanda la femme, avec un ton musical qu’on aurait pu noter.

— Je pensais… ; je pensais…, — dit le mari, sans savoir ce qu’il allait dire ; — je pensais à mon vaisseau…, à mes matelots perdus en mer…, à une foule de choses… Ma chère amie, un commandant a toujours une grave responsabilité dans une expédition si longue !… Un vaisseau,… mais c’est comme un royaume à gouverner.

— Mon ami, dit la femme, cela suffit ; ne parlons plus de la perle oubliée, et oublions-la toujours.

En effet, contre l’usage de ces entretiens où il est convenu de ne plus parler d’une chose qui est sans cesse remise sur le tapis, on ne parla plus de la perle promise, et le mari redoubla, dès ce moment, d’affection pour sa femme qui avait été si généreuse envers un homme si oublieux.

Cette faute inspira une idée singulière à M. de Saint-Saulieux ; il donna sa démission et renonça pour toujours à la mer, afin de ne plus se séparer si longtemps de sa femme.