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bre pour y découvrir les originaux vivants de ces deux figures reproduites par les miroirs ; mais il était seul, bien seul. Un seul coup d’œil suffisait pour s’assurer de cela.

Il regarda encore le plafond en éloignant l’ambre de ses lèvres, et cette fois il ne vit rien ; pour mieux dire, il se vit lui assis et se regardant.

— Bon dit-il, c’est une vision, causée par les caprices d’une fumée vagabonde. Ce serait vraiment trop fort si un miroir s’avisait de reproduire des objets qu’on ne lui offre pas.

Cela dit, il fut plus tranquille, et se remit à caresser l’ambre de sa pipe avec ses lèvres caucasiennes. Au même instant, son œil humide de langueur se reporta vers le plafond, et il revit l’odalisque et l’Européen, causant tous deux avec une certaine familiarité.

Il ôta l’ambre de sa bouche, et la vision disparut ; il ressaisit l’ambre avec ses lèvres, et cette fois, non seulement il revit la même scène, mais il reconnut l’odalisque ; c’était la belle Dilara, nom qui signifie sérénité du cœur.

Tant que l’ambre touchait les lèvres, la vision restait au plafond ; elle s’évanouissait quand les lèvres abandonnaient l’ambre.

Le sultan avait à son service deux savants orientaux auxquels M. Garcin de Tassy avait appris l’italien des îles Ioniennes, à son cours d’indoustani et de turc. Ces deux savants furent consultés, et ils répondirent que le commandeur des croyants avait sans doute été abusé par une erreur d’optique, et qu’il avait fumé de l’opium en croyant humer du