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avec une de ces voix chevrotantes et fausses, tant aimées de nos pères, Mutzi menaça le chanteur de prendre la fuite s’il continuait sa mélodie jusqu’à la fin.

Masse montra ensuite, étalées dans le creux de sa main, dix piastres fortes, avec les colonnes d’Hercule, et pria Mutzi d’accepter ce léger cadeau. Un regard de dédain et un geste de refus servirent de réponse.

Masse, poussé à bout, menaça Mutzi de la faire enlever par quatre matelots et de la ramener prisonnière à bord du Solide. La jeune fille éclata de rire, et se cramponnant par les genoux et les mains à la tige d’un palmier, elle s’élança en trois mouvements lestes jusqu’à la cime de l’arbre ; un oiseau n’aurait pas mieux fait.

Masse avait une peur affreuse d’être découvert par ses marins, au milieu de ces scènes de pantomime, indignes de la gravité d’un chef ; il frémissait surtout à l’idée de voir figurer tous ces détails de vie privée dans quelque rapport du Mercure de France. Le courage de la séduction l’abandonna ; il laissa Mutzi sur son palmier, et vint rejoindre sa troupe pour lui donner de hautes leçons de morale et de vertu.

Le Solide stationna trois jours devant l’île, et Masse commanda trois fois le débarquement ; quand la dernière heure fut venue, il tenta un dernier effort pour gagner les bonnes grâces de Mutzi, et, dans cette intention, il s’était chargé clandestinement de trois colliers de verroteries plus beaux que tout ce qui avait été donné jusqu’alors aux insulaires de l’océan du Sud. Masse prit un air très-doux et un maintien humble pour ne pas effrayer la jeune Mendoçaine, et après lui avoir clairement expliqué par signe que cette tentative