Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous étions ce jour-là en plein XVIe siècle ; Boy de Syracuse reparaissait à Londres sous un autre nom, nous assistions au triomphe d’un batailleur pacifique, d’un Guillaume le Conquérant par le droit des échecs. Le petit-fils du marin immortalisé dans Paul et Virginie, notre cher et invincible de Labourdonnais reçut au festin de Blak-Hall la couronne de l’échiquier universel ; on lui porta un toast avec des vins de France, et les vaisseaux indiens qui descendaient la Tamise entendirent retentir ce nom glorieux, et apportèrent la nouvelle dé l’innocente victoire aux échiquiers du fleuve Jaune et du Coromandel.

En finissant mon travail sous ce titre, la Tamise, je suis ainsi naturellement amené à donner une idée qui ne sera pas adoptée, à coup sûr, pour cause de paradoxe. Ce malheureux abbé de Saint-Pierre a-t-il été traité de fou ? a-t-on ri aux larmes de sa théorie sur la paix universelle ? On est toujours regardé comme un penseur sérieux, lorsqu’on dit que la guerre est un mal inévitable, et que les hommes ont été mis au monde pour se massacrer fraternellement. Cela n’est jamais regardé comme un paradoxe. Eh bien, n’importe, proposons. Toute bonne idée a échoué à son émission première. Échouons.

Le principe de cette idée appartient aux Romains ; il faut toujours revenir à eux, surtout en fait de guerre. Or, tout le monde sait que, pour épargner le sang de deux armées, on confia la cause de Rome et d’Albe à six combattants. Trois Horaces et trois Curiaces. Admirable logique d’un peuple à son berceau ! Heureux le monde si cet exemple eût toujours été suivi ! Le sang versé depuis ce sextuor de combat rendrait écarlate les flots de l’Océan ; et qu’ont-elles gagné, les