Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en points d’Angleterre. Il serait même facile de faire de cette galerie le musée le plus curieux de l’Europe, si on en supprimait toutes les toiles en y laissant tous les cadres seulement. À chaque pas je joignais les mains, et je m’écriais à l’oreille du nabab :

— Mon Dieu quel beau cadre ! Et le nabab, dans sa juste fierté nationale, s’écriait âpres moi :

Indead what splendid masterpeace ! Et il joignait les mains aussi.

Les toiles représentaient invariablement les mêmes choses. On lisait au bas : Victoire du vaisseau le… sur le vaisseau le… Voici comment le peintre a traité ce sujet historique : il a pris du bleu et en a barbouillé toute la toile avec une grande prodigalité d’artiste ; puis, sur cette couche de bleu qui prétend être l’Océan, il a semé, à l’infini, d’adroites éclaboussures de rouge criard qui représente les effets de l’artillerie, et plaqué d’énormes tourbillons, d’un gris vert qui figurent la fumée des canons. Les vaisseaux restent toujours invisibles ; à quoi bon les montrer d’ailleurs, puisque leurs noms sont inscrits sur le cadre ? et si on les montrait on ferait une faute énorme de perspective. Un artiste chargé de peindre le combat de deux vaisseaux est obligé de se mettre au point de vue de la nature. Si vous vous placez sur un rivage quelconque ou sur la cime d’une vague pour assister au combat de deux vaisseaux, vous croyez ingénument voir ce combat ; vous ne voyez rien du tout. Une épaisse fumée couvre les deux navires de leurs quilles à la cime de leurs mâts ; s’il n’y avait pas cette fumée, ce serait preuve que les navires ne se battraient pas, et alors à quoi bon les peindre ? Tant qu’ils