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» La porte des appartements royaux s’ouvrit ; on entra chez Louis XVI.

» La figure du roi rayonnait de bonheur et de fierté ; il ne lut pas la lettre, mais il annonça qu’il venait de recevoir d’excellentes nouvelles de l’Inde, et il serra la main de l’héroïque amiral. Les paroles du roi ne trouvèrent que des oreilles distraites. Si on ne parlait pas Figaro, personne n’écoutait.

» Le frère du roi, le comte de Provence, philosophe, poëte de quatrains et patron de Figaro, entra et mit tout à coup la conversation sur la comédie nouvelle, en s’exprimant avec les termes du plus vif enthousiasme. Les gentilshommes, encouragés par le prince encyclopédiste, redirent en chœur son feuilleton dramatique ; on célébra les vertus de Suzanne ; on railla le comte Almaviva, qui refusait le nécessaire à sa femme ; on s’extasia sur la cruche qui se remplit ; enfin, on battit les Anglais à plate couture avec le goddam qui est le fond de leur langue. L’enthousiasme ne garda point de mesure ; les premières effluves du printemps échauffaient toutes les têtes ; le soleil d’avril changeait en or le cuivre des tritons, des dieux et des déesses mythologiques de Versailles et de Trianon ; le déficit de M. de Calonne était comblé.

» Louis XVI présentait le bailli de Suffren à son frère, le comte de Provence, et aux sommités de sa cour ; on leur répondit : Sait-on gré du superflu à qui nous prive du nécessaire ? ou bien De vingt rois que l’on encense le trépas, brise l’autel, mais Voltaire est immortel ! ou encore : Tout est mordu, hors l’amant qui l’a vendu. Le bailli de Suffren, qui avait vu les mille variétés des fakirs et des jongleurs de l’Inde, qui avait livré six batailles navales, labouré toutes les mers,