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mœurs, son peuple, a pour nous tout le charme mystérieux de la chose antique, dans son intérêt contemporain. Si on ajoute ensuite que ce prince indien, endormi dans une fausse pagode de la Tamise, est le fils de l’héroïque Typpoo-Saïb, le fidèle ami de la France et la victime de cette noble amitié, on comprendra mieux encore toute la sympathie émouvante que dut exciter un tel nom dans l’âme d’un Français voyageur, très-partisan de l’Inde et des Indiens.

Même cette fois, mon patriotisme ne put s’élever jusqu’à la haine contre les vainqueurs du Mysore. Les histoires de Typpoo-Saïb et de Wellington me paraissent aussi anciennes que les victoires gauloises de Jules César, et mon orgueil national n’est pas plus humilié par les vieilles victoires anglaises que par les défaites de Brennus et de Vercingétorix. Toute rancune patriotique a une prescription. Un demi-siècle a dans mon souvenir la valeur numérique de deux mille ans. Camille, le vainqueur de Brennus, et lord Cornwallis, le vainqueur de Typpoo-Saïb, me paraissent contemporains. Si tout le monde embrassait ce paradoxe, après nos quarante ans de paix européenne, il n’y aurait plus de guerre, et tout le monde s’en porterait mieux. La guerre n’est belle que dans le passé.

Cependant il ne faut pas tout mettre en oubli avec les haines et les rancunes ; nous avons là une histoire ensevelie dans la tombe, qu’il faut exhumer comme leçon perdue et comme salutaire avertissement pour l’avenir.

Nous nous assîmes le nabab et moi, à peu de distance du vestibule où dormait le fils du sultan de Mysore, et je dis à mon hôte :

Vous êtes cent fois millionnaire, Monsieur ; vous possé-