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J’avais grande envie de faire comme l’inconnu et les jeunes filles bengaliennes, et de m’endormir en face de ce paysage indou pour trouver dans le sommeil les rêves que j’aime. Mais un attrait de curiosité, plus puissant que ma volonté, tint mes yeux ouverts et me força d’attendre la fin naturelle de cette étrange situation.

Je n’attendis pas longtemps.

Le nabab mit un signet à l’in-folio de ses souvenirs, et, prononçant quelques mots en malais il se leva. L’Indien fit un signe de tête affirmatif, et quitta la table. Nous descendîmes un petit sentier de sable fin qui conduisait à la pagode, et je cherchais toujours une occasion pour demander au nabab le nom et l’état de l’Indien ; mais l’occasion ne se présentait pas naturellement ; le nabab avait offert son bras à son hôte qui marchait avec beaucoup de difficulté, quoique le terrain fût très-doux. Le décor extérieur de la pagode ne fit aucune impression sur l’Indien ; ses regards se portèrent même avec indifférence sur la statue d’Indra, l’éléphant Irivalti, le bœuf Namdy, le manguier sacré, la déesse Ganesha, et les bas-reliefs des dix incarnations. Le nabab fit son devoir de propriétaire, et désigna du doigt, en passant, toutes ces merveilles ; rien n’arracha l’Indien à sa mélancolie et à sa somnolence ; peut-être aussi riait-il intérieurement de ces contrefaçons indiennes, parodies sacriléges des vénérables édifices d’Elora. Le jeune sauvage Potaveri, amené en France par Bougainville, pleura de joie, dit-on, en voyant un palmier dans une serre ; l’Indien invité chez le nabab Edmond ne donna aucun signe d’attendrissement au milieu de ce domaine qui lui rappelait le pays natal : il témoigna seulement