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geait sous son menton d’airain ; mais l’éclat des yeux, la vigueur anguleuse des tempes, l’agitation convulsive des narines et des muscles du cou, donnaient un démenti à la nuance de la barbe, et trahissaient le jeune homme dans sa puissante virilité.

Souniacy, seul, s’avançait debout, et sa démarche et son regard avaient quelque chose de mystique et de solennel qui formait le plus bizarre des contrastes avec le costume extravagant tatoué sur son corps. Le fakir était habillé de nuances et de couleurs : on aurait cru voir un gigantesque mandrill devenu anachorète, meurtri par des macérations, et sortant de sa cellule d’ermite pour méditer dans les bois, aux clartés nocturnes du firmament.

La meute formidable, se déroulant sur les gazons comme des liasses de reptiles, suivait le fantôme Souniacy.

Quand le fakir flaira dans l’air des émanations humaines et découvrit le sommet de la colline des ruines, il se fit reptile à son tour.

Dès ce moment, le regard humain attaché sur ce sentier d’herbes hautes et ténébreuses n’aurait pu deviner qu’une meute de bandits religieux traversait le bois, car le mouvement léger du gazon devait être attribué aux brises de la nuit. Les bêtes fauves, surprises par ce fleuve vivant débordé sur leurs domaines, bondissaient avec des élans furieux à travers des massifs de feuillages déchirés, pour échapper à cet immense ennemi, qui effleurait à la fois, du bout de ses griffes, tous les arbres de la solitude.

Le colonel Douglas, Edward et les soldats comprirent ainsi que l’ennemi approchait. Les tigres, lancés en ellipses prodigieuses, dans un accès d’épouvante folle, franchissaient les soldats de l’embuscade, et ceux-ci,