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ces massifs de verdure ; écartez doucement les petits rameaux avec le bout du doigt, comme si vous étiez le zéphyr, et regardez ce qui se passe entre la statue d’Indra et un tronçon d’Iravalti… Répondez-moi avec le souffle.

— Ah !… oui… c’est lui il est charmant dans cette pose… il fait un groupe avec un goût parfait… un beau tigre noir… d’une belle venue !… Saavers l’a surnommé le tigre Néron… il manque à la collection de Londres… il fait sa toilette de nuit, avec une griffe caressante comme la main de la comtesse Octavie… On les vend cinq cents guinées au marché de Java… S’il veut se vendre, je l’achète à ce prix… Douglas, me permettez-vous de faire cent cinquante pas, et de l’acheter gratis avec une balle au front ?

— Gardez-vous-en bien ! ce tigre est mon espion.

— Ah ! ceci est fabuleux !

— Attendez un instant, et vous verrez. »

Le tigre continuait sa toilette avec un soin de détails et un calme débonnaire qui annonçaient une conscience pure du remords. Il déposait, avec de molles ondulations de tête, l’écume de sa langue sur sa griffe, et distribuait cette essence fauve du sommet des oreilles à l’extrémité des narines. Tout à coup l’animal frissonna sur toute la longueur de l’épine de son dos, et des étincelles jaillirent de ses poils. La griffe caressante s’arrêta brusquement à la hauteur de l’œil droit ; les oreilles se courbèrent sur les tempes ; les narines flairèrent le vent. On entendit un râle strident, sourd, prolongé, comme le son d’un orgue qui ouvrirait, un instant, son clavier à l’ouragan de la nuit. Si les ruines eussent tremblé sous l’éruption soudaine d’un volcan, elles n’auraient pas donné à l’élan du tigre des secousses plus merveilleuses. Il se leva, bondit sur les ruines, et disparut dans les bois.