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nuance, s’allongent en sphinx, et recourbant, avec une grâce efféminée, la griffe droite sous leur langue humide, rendent le vernis de l’ébène à leur fourrure dévastée après une orgie de sang et d’amour.

« Dans cette guerre, dit le colonel à l’oreille de sir Edward, tout nous sert de signal ; les bêtes fauves même sont nos auxiliaires. Vos yeux sont excellents, Edward : vous avez la perception féline des mystères de la nuit. Regardez ces ruines, là, de ce côté, à cinq cents pas. Que voyez-vous ?

— Attendez, dit Edward, en s’appuyant avec nonchalance sur le tronc d’un arbre, les deux mains verticalement posées sur sa ceinture, attendez, Douglas… Voici ce que je vois… de belles ruines… fort belles. C’est le style du temple détruit de Brambânan, à Java, qui s’élevait au pied du volcan nommé Mara Api (colère du feu). Ces poétiques Indiens excellent dans les appellations ! Il se seraient bien gardés, eux, dénommer un volcan Vésuve ou Etna, ce qui ne signifie rien du tout… Quand la brise soulève ces grands panaches de verdure flottante et les replie du côté opposé, je vois très-bien, à l’aide des étoiles, ce superbe travail d’architecture. Cependant je dois vous dire, mon cher Douglas, que je lui préfère le temple de Soukou à Java, près de Solo. Ce temple annonce une civilisation supérieure à la civilisation grecque ou romaine : car, à mon avis, un grand peuple se révèle par son architecture. Rome a laissé le testament de son génie sur la page ronde du Panthéon. Or, les Indiens…

— Mon cher Edward, dit le colonel en fermant la bouche à son interlocuteur, vraiment, vous parlez avec une tranquillité superbe ! Croyez-vous que je vous ai conduit ici pour écouter un cours d’architecture indienne ?… Avancez un pas ; faites-vous éclipser par