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— Un tigre noir ?

— Il se détachait avec un relief superbe sur un fond blanc de cotonniers. »

Le colonel Douglas et le comte Élona se précipitèrent sur un faisceau de carabines. Edward se leva pour les arrêter, et laissa glisser adroitement le billet de Nizam dans la main du colonel.

« Ah ! vous croyez donc que le tigre va vous attendre de pied ferme, pour recevoir une balle au front ? dit Edward. Vous ne connaissez pas les tigres noirs du pays ; ils ont inventé la poudre avec les Chinois ; ils la flairent d’une lieue. Avant l’arrivée de lord Cornwallis au Bengale, les tigres avaient encore quelque candeur ; mais, depuis qu’ils ont assisté de loin aux batailles du Mysore, ils connaissent mieux la portée des carabines qu’un armurier de Birmingham. Aujourd’hui le tigre noir s’est fait maraudeur ; il cherche du gibier, et ne veut plus l’être. La nuit, autour des habitations, il rôde, pour étrangler sans péril quelque péripatéticien philosophant aux étoiles, ou quelque amoureux étourdi. Vous connaissez tous l’histoire de ce pauvre Dhéran…

— Vos histoires font peur, sir Edward, interrompit Arinda, qui avait jeté ses bras au cou de son père.

— Mes histoires font peur ? tant mieux ! mes histoires donnent de la prudence ; mes histoires font fermer la porte des habitations ; mes histoires éloignent de la gueule des tigres les jeunes et belles demoiselles qui vont se marier.

— Eh bien ! racontez-nous l’histoire de ce pauvre Dhéran, dit Arinda ; personne ne la connaît ici.

— C’est une histoire de circonstance, miss Arinda ; et rien n’est amusant, aux veillées du Bengale, comme les histoires de tigres, lorsqu’on est à l’abri. Mon parent, le poëte Thames, naturaliste peu estimé par les