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riche, parce qu’on vous a surnommée le diamant de l’Inde, parce que vous méritez d’être assise sur le trône du Bengale, à côté du Soleil, votre époux ; je vous aime parce qu’un attrait mystérieux, invincible, inexorable, m’a cloué dans la trace de vos pieds, quand je vous vis, pour la première fois, descendre de votre navire sur le sable du Coromandel. Ce fut un de ces moments d’extase qui font la vie d’un homme, et ne lui permettent plus de vivre que dans ce moment éternel. Depuis, vous le savez, j’ai fait une guerre d’extermination ; j’ai vu bien des nuits de sang et d’horreur, j’ai vu s’accomplir d’affreuses funérailles ; j’ai donné tout ce que j’avais de larmes à d’inconsolables amis ; j’ai brisé tous les ressorts de mon âme, au point de croire que j’avais enfin obtenu cette insensibilité bienheureuse qui est la récompense de ceux qui ont abusé de la douleur. Eh bien ! mon amour a traversé toutes ces ténèbres sanglantes, ce chaos de deuil et de désolation ; il est encore là, devant vous, avec l’énergie de sa première aurore. Dans cet ouragan infernal déchaîné sur mon front, toute chose qui était en moi s’est éteinte, excepté la flamme de cet amour ! Osez maintenant, miss Arinda, osez me parler avec cette contrainte glacée, avec cette méfiance injurieuse indigne de vous et de moi. Si j’ai commis une faute envers vous, c’est un crime, ayez le courage de me le jeter au front, et je le ferai descendre au cœur, à la pointe de ce poignard. »

L’arme étincela sur la ceinture du colonel.

Il y a dans la passion vraie un accent inimitable, que l’oreille la plus novice reconnaît aux premières notes. Les femmes ont la perception merveilleuse de toutes les choses qui viennent du cœur : celles qui se laissent tromper par la parodie de cet accent ne méritent pas l’honneur d’être femmes.