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L’allure de ces ombres n’annonçait ni des laboureurs, ni des béraidjes, ni des batteurs de riz, laborieux habitants des fertiles jardins de Golconde : leur démarche avait quelque chose de solennel et de mystérieux, et, dans les éclaircies de cotonniers blancs, lorsqu’un rayon d’étoile tombait sur leur front, il était facile de voir, à la faveur de cette délation lumineuse, que ces spectres indiens n’appartenaient point à la classe des agriculteurs : leur tête haute semblait se détacher des choses terrestres ; elle ne regardait que le ciel, comme pour lui demander une sainte inspiration, à l’heure suprême du péril ou de la mort.

Aux limites de la plaine d’Hydrabad, ces mystérieux Indiens, arrivés isolément par mille sentiers, se réunirent et se parlèrent bas, comme si leur souffle eût été un langage. Le chef donna un signal, et ils s’élancèrent tous, comme un vol de démons, vers les montagnes du couchant.

Une caravane d’Indiens et d’Européens suivait à peu près la même direction, mais, par une grande route pavée de briques et bordée de beaux arbres, comme tous les chemins routiers du Bengale. Les constellations marquaient minuit au cadran du ciel. Une brise délicieuse montait de la rivière et entr’ouvrait mollement les rideaux des palanquins. Les soldats cipayes marchaient avec joie à la fraîcheur de la nuit et à la clarté des étoiles. Deux cavaliers allaient le pas et causaient à voix basse, pour respecter le sommeil d’une jeune voyageuse endormie dans son alcôve mouvante, à leur côté.

« Oui, comme vous le remarquez fort bien, sir Edward, disait le colonel Douglas, il y a des heures solennelles où l’on dit tout. Les étoiles semblent même nous exciter à l’indiscrétion.

— Colonel, on est obligé de causer la nuit, lorsqu’on