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Cependant, la fête arrivait à sa fin avec le jour. L’idole Dourga s’agita sur son piédestal, et des cris furieux s’élevèrent dans toute la ville avec tant de force, que les antiques maisons d’Hydrabad, déjà réduites en poudre par le vent et le soleil, tremblèrent sur leurs fondements d’argile. Vingt fakirs venaient de soulever l’informe statue de la déesse de destruction, et ils l’emportaient vers la porte occidentale de la ville, à travers des rues étroites, sombres et lépreuses. Cent mille Indiens formaient le cortège, et tous les volcans de l’univers, réunis sur un point du globe et faisant éruption à la fois, auraient à peine dominé le fracas inouï formé par cette population en délire, accompagnée de tous les orchestres de l’enfer.

On arriva au sépulcre destiné à la déesse, selon le rite indien : c’est un gouffre ténébreux, où deux cascades se croisent, tombent et fument. L’idole Dourga y fut précipitée aux acclamations furibondes de tout Hydrabad ; des fakirs, enlacés l’un à l’autre, saluaient d’un regard d’amour le firmament bleu de l’Inde, et suivaient leur divinité dans l’abîme en s’élançant par-dessus les massifs de bambous, au milieu du nuage d’écume qui flottait sur la trombe des grandes eaux.

Un éclair de crépuscule annonça la nuit. La foule, silencieuse après le sacrifice, regagnait la ville. Cette armée d’Indiens, nus et cuivrés, ressemblait alors dans les ténèbres à un fleuve de bronze en fusion que traversaient à la nage des troupeaux d’éléphants chargés des hideux fantômes de l’olympe de Siva.

Pourtant, ils ne rentraient pas tous à Hydrabad, ceux qui venaient de détruire, pour l’honorer, la déesse de la destruction. Par intervalles, des ombres se détachaient du flanc de cette foule, et suivaient les sentiers solitaires qui ne conduisaient pas à la porte d’Hydrabad.