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— Attendez donc la nuit, sir Edward, vous serez guéri.

— Ah ! vous tournez à la plaisanterie, mon cher colonel. Vraiment, je vous admire. C’est pour vous que je me suis mis en hostilité mortelle avec la belle comtesse Octavie ; que j’ai quitté Smyrne, dont je voulais faire ma Capoue, pendant une longue semaine au moins ! que j’ai accepté la moitié des malédictions données par l’Asie Mineure à votre paquebot ; que j’ai distillé l’ennui indien soixante-cinq jours à Bombay, avec des Arabes et des Chinois ! Et maintenant voici ma récompense : vous m’invitez à la fête de Dourga, et vous me proposez des énigmes sur le balcon d’un nabab. »

Le colonel fit un signe d’intelligence à sir Edward, et marcha nonchalamment vers l’angle le plus reculé du balcon, pour parler sans crainte d’être entendu. Le comte Élona causait avec le nabab et sa fille.

« Sir Edward, dit le colonel en s’appuyant sur la balustrade dans l’attitude d’un spectateur ennuyé, sir Edward, vous voulez me faire parler avant l’heure ; eh bien ! je parlerai…

— C’est inutile, colonel. Votre intention me suffit. Je sais tout ce que vous voulez me dire, vous ne m’apprendriez rien. Je sais le motif qui vous a fait rompre violemment votre mariage à Smyrne ; je sais que la province du Nizam était tranquille lorsque j’ai quitté Londres avec les dépêches que vous avez sollicitées vous-même par vos puissants amis au Foreign-Office ; je sais aussi que la guerre des Taugs se rallume d’Hydrabad au Mysore ; que cette fête est une fête de mort ; que cette place publique est pleine de fanatiques indiens, nos intraitables ennemis, et que la hache magique de la déesse Deera s’aiguise à cette heure sur la