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chaque jour de singuliers miracles ! Cette jeune fille qui, le siècle dernier, aurait adoré Siva et porté au front le signe blanc des sectateurs de ce dieu, était, un peu après 1830, une demoiselle aussi bien élevée qu’une princesse européenne ; elle avait reçu à Calcutta la plus brillante éducation, dans le palais de sir Willam Bentinck, d’où le nabab, son père, ne l’avait rappelée qu’à l’âge de treize ans.

Dans le groupe d’Européens qui sont debout sur le balcon, à côté du nabab et de sa fille, nous n’en distinguerons que trois, et il nous suffira de les entendre causer pour les reconnaître. Nos trois personnages portent le modeste costume blanc du pays du Soleil ; mais, à la distinction de leurs visages, à l’aisance gracieuse de leurs manières, il est facile de voir qu’ils appartiennent au monde élégant du Nord.

« Sir Edward, disait le plus jeune, je ne comprends pas quel est le but de la politique anglaise, en autorisant à perpétuité ces bacchanales indiennes.

— Comte Èlona, vous êtes bien intolérant. Que diable voulez-vous que fassent ces pauvres Indiens ? L’Angleterre ne doit pas se mêler de leurs plaisirs ; elle se mêle de leurs affaires, c’est le plus essentiel. Voulez-vous que lord Bathurst envoie aux Indes une collection de Caligula, de Néron, de Domitien anglais, pour établir des ateliers de supplices depuis les Cinq-Rivières jusqu’à Ceylan ?

— Non, sir Edward ; mais il me semblé qu’en tolérant ce fanatisme effréné, l’Angleterre s’expose à subir quelquefois de sanglantes déceptions.

— C’est un malheur, comte Élona. L’Angleterre porte aux Indes un gant de velours sur une main de fer ; ceux qui ne veulent pas sentir le gant ne tardent pas de sentir la main.