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lière sur le balcon d’une maison opulente, bâtie à côté de l’hôtel de West-India. C’était la résidence du nabab Sourah-Berdar, le plus riche marchand de pierreries de Golconde, par excellence la ville des diamants.

Ce nabab, après les victoires de lord Cornwallis, n’avait pas balancé, pour conserver ses mines, à déserter le culte de Siva. Il était devenu l’ami de ses conquérants, et ses maisons de ville et de campagne servaient souvent d’hôtellerie ou de corps de garde aux officiers de cipayes et aux voyageurs.

Cependant, malgré ses diamants et son apostasie, ce n’était point lui que la foule regardait. Le nabab, étendu nonchalamment sur une natte, fumait le gourgoury-houka, et ne prêtait qu’une attention fort distraite à la fête de la déesse indienne. Près de lui étincelaient, sur une figure d’ange dorée au soleil indien, deux yeux noirs d’une dimension surhumaine, et qui ne permettaient pas aux regards de l’Européen de descendre jusqu’au triple collier de pierreries, roulé sur un sein de quinze ans. Le corps svelte et suave de la jeune fille se voilait, avec un mystère diaphane, sous le sari de soie à franges brodées ; et le châle de crêpe chinois, semé de fleurs et d’oiseaux, laissait dans leur nudité lumineuse des épaules d’or de sequin. Un concert d’admiration, formé de toutes les langues de l’Europe, s’élevait du pavé de la place au balcon du nabab, et la belle Indienne, sensible à ces hommages, répondait par des sourires célestes et des regards veloutés et limpides à l’enthousiasme de ses adorateurs. Il semblait que Dieu, qui a créé tant de femmes diverses, avec un luxe de complaisance digne de lui, venait d’en inventer une nouvelle, toute parée de charmes inconnus, pour renverser l’idolâtrie de la déesse Dourga.

La civilisation et la conquête opèrent, à notre insu,