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tissait du concert aigu formé par tous les instruments que l’Inde a inventés pour déchirer les oreilles des hommes et des dieux. Les jeunes baloks, les belles ran-djénys, dansaient la natche nationale avec une furie d’élan et un dévergondage effrénés, au son du baunk, la trompette du Bengale, et du bansy, la flûte de bambou ; tandis que les sarada-caren, accompagnés de l’aigre sitar, chantaient les amours adultères de Kistna et la délivrance de la belle Sita, ravie par le monstre de Ceylan. Une foule immense applaudissait avec des sifflements de boas à ce concert de cuivres et de voix de démons, aux tours de force des jongleurs qui pirouettaient à la cime des bambous, aux danses de l’orgie, à ce spectacle infernal donné au peuple en l’honneur de la déesse de la destruction.

Des groupes de voyageurs européens passaient à travers cette foule avec un dandysme superbe ; de jeunes femmes créoles, l’ombrelle négligemment posée sur des épaules nues, mêlaient leur éblouissante carnation à ce tourbillon cuivré de chair sauvage, à ces flots de bronze vivant. Par toutes les issues, on voyait s’entrouvrir les rideaux soyeux des mohhafas, les palanquins des femmes riches, et descendre, dans tout l’éclat des étoffes et des pierreries, les filles, les épouses, les concubines des nababs. Kiosques, balcons, vérandas, portiques de bois de sandal, terrasses des pagodes, étaient inondés de spectateurs : mosaïque mouvante formée de tous les épidermes et de tous les costumes de l’univers, où se déployaient partout les larges ailes des pankas, agités par des milliers d’esclaves libres, pour répandre une fraîcheur d’emprunt aux heures incendiaires du milieu du jour.

L’attention des spectateurs européens qui se promenaient sur la place se fixait avec une curiosité singu-