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Forcé de parler pour être poli, Edward dit à la comtesse :

« Vos idées sur la vie sont justes à vingt ans : à vingt ans je pensais comme vous. Malheureusement j’ai vécu, j’ai voyagé, je me suis perverti. En avançant en âge, on a deux torts : celui de vieillir et celui d’avoir raison. Nous commençons à voir clair dans les choses de ce monde, lorsque notre vue s’affaiblit.

— Ah ! sir Edward ! dit Octavie avec une de ces voix d’ange qui attendriraient un démon, ah ! mon pauvre philosophe, vous parlez comme un homme qui n’a jamais eu la patience d’attendre un lendemain ! Il n’y a pas de bonheur à la minute. Votre pas est trop rapide ; le bonheur ne peut vous atteindre, il est boiteux. Essayez un jour de vous arrêter sous un arbre du chemin ; au premier relais, oubliez de demander une voile ou un cheval ; attendez… Sir Edward, vous avez une haute expérience de ce monde, je le sais cependant, croyez-le bien, il y a dans votre profond savoir un coin ténébreux voilé par l’ignorance… Si, par exemple, une femme amoureuse du merveilleux, et séduite par l’éclat de votre histoire, n’attendait qu’un mot de vous pour vous donner son affection, vous ne la devineriez pas, vous ne la comprendriez pas. Les hommes supérieurs sont ainsi faits. Les gens médiocres ne doutent jamais de rien, eux. Ils ont l’audace qui échoue ; et vous, messieurs, vous n’osez prendre l’audace qui réussit… et puis, vous voulez avoir l’orgueil d’être malheureux ; et vous courez le monde pour insulter la vie par des railleries amères ! Cela est injuste, sir Edward. La vie est un travail intolérable, j’en conviens, quand on le fait seul. Pour vivre, il faut être deux Essayez un jour d’être deux, sir Edward.

— Madame, les essais ne m’ont jamais réussi, dit