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— Eh ! que cherchez-vous donc à travers le monde ?

— Le malheur. J’aime les choses faciles à trouver. »

La comtesse inclina sa tête en arrière avec une ondulation de cygne ; ses boucles de cheveux noirs laissèrent à découvert son front et ses tempes, et ses yeux fixés sur le visage d’Edward brillèrent d’un éclat plein de tendresse et de séduction. Elle choisit, dans le clavier de sa voix, les notes les plus veloutées ; on aurait cru entendre le suave et mystérieux accompagnement de l’orchestre, au trio final du Comte Ory.

« On va chercher le malheur bien loin, sir Edward, dit-elle, lorsque le bonheur qu’on ne cherche pas est dans le voisinage ! Il y a partout de nobles cœurs qui comprennent les nobles âmes ; partout des mains amies prêtes a serrer de généreuses mains ; partout des rayons de soleil et des rayons d’amour, des fleurs sous les pieds, de l’ombre sur la tête, des mélodies pour les oreilles, de doux paysages pour les yeux. Voyez comme ce pays est beau ! Ici, on se sent vivre avec extase. Il y a dans l’air une fête continuelle, formée de toutes les charmantes choses de la nature, de tous les caprices de Dieu. Ces arbres, ces collines, ces rivages, ce golfe, sont pleins de voix joyeuses qui disent, dans des harmonies sans fin, que tous les êtres de cette création aiment, sont aimés, sont heureux. L’homme qui foule ces fleurs, à la clarté de ces étoiles, et qui n’éprouve au cœur que le besoin de poser son pied sur la planche d’un navire, invente un crime sans nom : il a l’ingratitude d’un premier ange damné ; il avilit son intelligence, il insulte le ciel. »

Edward baissa la tête et garda ce silence qui signifie : « Je suis de votre avis, mais je ne devine pas pourquoi vous me dites cela. » La comtesse attachait obliquement sur lui un regard tendre et interrogateur.