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comtesse en s’inclinant devant Amalia. C’est de la philosophie grecque toute pure, et je ne la comprends pas.

— Mais dites-moi, ma belle Octavie, donnez-moi un conseil ; à ma place que feriez-vous ?

— Je m’opposerais au départ du colonel. Il y a une justice à Smyrne, comme partout.

— Vous feriez un procès à un homme pour le forcer à vous épouser ?

— En ce cas, oui ; je ne balancerais pas. Je sommerais le consul de sa nation de me rendre justice à l’instant.

— Oh ! quel scandale, chère Octavie ! vous ne réfléchissez donc pas ?

— Amalia, dit la comtesse en s’animant à chaque mot, Amalia, ce n’est pas la perte d’un mari que je déplore pour toi en ce moment ; à ton âge, avec ta beauté, on trouve à chaque bal un mari qui vaut toujours mieux que celui de la veille. Aujourd’hui ce qu’il y a d’ineffaçable, de malheureux, d’accablant, c’est le ridicule. Demain, tu seras la fable de la ville ; on se moquera de toi chez les consuls ; après le rire viendra la médisance ; après la médisance la calomnie. La calomnie ! entends-tu, mon ange ?… Enfant, tu crois que le monde raconte les choses comme elles arrivent. Ce ne serait pas assez amusant pour le monde. Il est trop ennuyé pour se contenter de l’histoire ; il lui faut le mensonge. Demain, le monde te déshonorera.

— Je me résigne, chère Octavie ; il faut subir le monde comme il est. Le colonel Douglas est libre de tout engagement ; je ne dirai pas une parole, je ne ferai pas un geste pour le retenir.

— Tu ne l’aimais donc pas, le colonel Douglas ?

— Quelle question ! Vraiment, Octavie, je ne te re-