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qu’une heure perdue peut mettre en péril la vie de dix mille soldats ? La province de Nizam est en feu. Nos meilleurs officiers ont péri. L’armée de Golconde n’est plus qu’un corps sans tête. De sinistres nouvelles sont parvenues au Foreign-Office. On m’a fait l’honneur de me croire nécessaire ; il faut que je réponde à la confiance du roi. Il faut que je parte pour cette guerre lugubre, où tant de jeunes et nobles têtes ont disparu. Voulez-vous que, pour mon cadeau de noces, je donne à ma femme un veuvage à peu près certain ? Voulez-vous que je l’entraîne avec moi sur ce théâtre de désolation et de mort ? Voulez-vous que je sois son époux d’un jour et que je l’abandonne le lendemain en ne lui laissant que mon nom ? Soyez juste, comtesse Octavie, si vous êtes vraiment l’amie d’Amalia, soumettez-vous comme moi, comme nous tous, aux terribles exigences du moment, et attendez avec nous ce que nous réserve l’avenir. »

La comtesse Octavie croisa les bras sur sa poitrine haletante, inclina sa tête sur l’épaule gauche, et lançant au colonel la pointe acérée d’un regard, elle dit :

« Colonel, vous n’aimez pas Amalia ; voilà tout ce que m’a prouvé votre discours.

— Madame, en ce moment, vous pouvez m’accabler de toutes les manières. Je ne sais pas ce que j’aime, je ne sais pas ce que je déteste ; je sais que le plus impérieux devoir, que la plus terrible mission m’appelle à l’autre bout du monde, et que ces deux mains doivent être libres de tout lien pour tirer mon épée du fourreau. »

À ces mots, le colonel s’inclina respectueusement, et entra, suivi du consul, dans un salon voisin.

Le tuteur d’Amalia se rapprocha de la comtesse, et lui dit :