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vrit la feuille de musique, et, feignant de désigner du doigt en souriant une ligne de notes à son voisin :

« Monsieur Edgard, dit-elle, voulez-vous me plaire ? Éloignez-vous nonchalamment et sans affectation, et surveillez jusqu’à l’aube tous les pas du comte Élona Brodzinski. »

Le jeune homme s’inclina, et, un instant après, disparut dans la foule, sans toutefois perdre de vue la comtesse Octavie de Verzon.

Un profond silence s’établit dans le vaste péristyle ; la foule se replia sur les banquettes, de manière que le milieu de la salle resta vide. Les intervalles des colonnettes furent remplis par les invités qui n’avaient pu s’asseoir. La comtesse Octavie et M. Ernest de Lucy allaient commencer le duo de Tancredi, lorsque le consul d’Angleterre traversa la salle et vint parler au maître de la maison. Celui-ci témoigna par ses gestes une grande et joyeuse surprise, et dit quelques mots à l’oreille du colonel Douglas.

À la faveur du mouvement mystérieux que cet incident excita dans la salle, Edgard de Bagnerie lança un coup d’œil d’intelligence à la comtesse, et courut se placer à son poste d’observation, dans le voisinage du comte Élona.

Le colonel Douglas ne fit remarquer qu’à ses plus proches voisins une légère contraction sur sa figure. La comtesse Octavie rejeta gracieusement sa tête en arrière, et prenant la main du colonel :

« Pouvons-nous commencer notre duo ? dit-elle ; si vous me gardez cinq minutes encore dans cette pose, à l’état de statue, je ne réponds plus de ma voix.

— Comtesse Octavie, dit le colonel avec un sourire forcé, c’est un noble étranger qui demande à être introduit sur la recommandation de son consul.