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une allure étourdie, très-opposée au sérieux de ses paroles. Le comte Élona, qui ne savait rien feindre, lui, ressemblait à une protestation vivante de l’enfer contre la joie d’un bal. On aurait cru voir un spectre écoutant les joyeuses confidences d’une jolie femme au coup de minuit, avant de rentrer dans son tombeau.

« Madame, dit-il, je vous jure de vous obéir ; je ne dirai pas un seul mot au colonel Douglas.

— Aujourd’hui et demain, comte Élona.

— Oui, madame… cependant il faut que je lui fasse parvenir cette carte ; c’est un engagement… »

La comtesse saisit avec vivacité la carte de sir Edward, et la déchirant sans la lire, elle dit d’une voix sourde, mais irritée :

« Comte Élona, vous méconnaissez les devoirs de l’hospitalité ; cette carte est un défi. Depuis le commencement du bal je vous suis des yeux, et je ne m’égare pas sur vos intentions, Vous ne pouvez pas tromper le regard d’une femme. Comte Élona, vous envoyez un cartel au colonel Douglas ; c’est indigne ! Je lis depuis longtemps au fond de votre cœur, et je vais vous dire toute votre pensée. Vous aimez une femme qui doit se marier demain : cet amour vous tue, et vous voulez vous sauver par un acte de désespoir. Suis-je bien inspirée ? répondez-moi ; vous répondez en vous taisant. J’ai donc bien vu ce que j’ai vu. »

En ce moment, un prélude d’orchestre se fit entendre. Le colonel Douglas s’avança vers la comtesse Octavie, lui offrit son bras et la conduisit à l’autre extrémité de la salle, devant le pupitre où l’attendait le duo de Tancredi.

Le jeune Edgard de Bagnerie avait déjà pris place au premier rang, pour écouter le duo. La comtesse ou-