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Mon Dieu ! qu’avez-vous donc ? vous êtes pâle comme un naufragé d’hiver.

— Madame, dit le comte avec une voix presque éteinte, j’ai exécuté vos ordres ; j’ai attendu vos domestiques ; votre canot n’est pas arrivé. Me permettez-vous, madame, de vous quitter un instant ? J’ai deux mots à dire au colonel Douglas.

— J’allais vous demander un tour de promenade sur la terrasse… Oh ! quel effroi vous a saisi, comte Élona !… C’est bien !… vous me refusez ! il paraît que vos affaires vous retiennent impérieusement ici, quand vous ne méditez plus sur le bord de la mer.

— Pardon, pardon, madame, excusez-moi… plus tard je vous expliquerai…

— Comte Élona, je vous engage pour la première contredanse… Vous me refusez encore ! Ah ! ceci devient inexplicable…

— Au nom de Dieu ! madame, permettez-moi de m’éloigner une minute…

— Un mot, comte Élona. Je ne vous ai pas perdu de vue un seul instant pendant la dernière contredanse. Vos lèvres avaient la fièvre, et vos yeux avaient des éclats de vengeance et de mort. Vos yeux se sont fixés sur le colonel et ne l’ont pas quitté… Comte Élona, je vous devine, vous méditez quelque chose d’atroce… Je vous défends d’adresser une seule parole au colonel Douglas… vous obéirez, j’espère, à une noble femme française, noble comte polonais. »

Cette petite scène, jouée par deux personnages dans un angle du péristyle, passait inaperçue au milieu du mouvement de la fête. Pour donner le change à quelques jeunes observateurs qui de loin la suivaient toujours et la reconnaissaient à la cime de sa chevelure, la comtesse Octavie affectait dans ses poses et ses gestes