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riosité irritante couraient du colonel à la fille grecque, l’épouse du lendemain. La comtesse Octavie dansait avec le futur époux, et sa grâce et sa beauté soulevaient encore des concerts d’éloges, à côté de l’héroïne de la fête. Il était facile de voir que des passions orageuses et voilées grondaient autour de la noble et belle veuve, car les yeux de quelques jeunes gens ne s’égaraient jamais autour d’elle dans un éclair de distraction, et, pour ces timides et ardents adorateurs, la comtesse Octavie était la reine et la seule femme du bal.

Elle, avec cette merveilleuse expérience des femmes qui courent vers leur trentième année à travers les fêtes et les adorations, elle, la comtesse Octavie, saisissait au vol les moindres détails de regards et de pensées que le tourbillon du bal emportait avec une furie éblouissante. Les plus habiles observateurs n’auraient jamais accordé cette spontanéité de regard sibyllin à ce front charmant, couronné de fleurs et de grâce ; à ces yeux noirs, étincelants de joie enfantine et de naïve étourderie ; à cette femme adorable qui semblait n’écouter que l’orchestre et ne regarder que son image, en courant comme un lutin devant les hautes glaces de la salle du bal. Rien n’échappait à cette sagacité infaillible qui, dans le tumulte des pieds, des voix, des instruments, recevait de sombres confidences que des lèvres muettes refoulaient en vain au fond des cœurs.

Il y avait là des diplomates, des élèves en ambassade, des secrétaires de chancellerie, des politiques profonds, tous les consuls européens, tous les agitateurs du destin du monde : pas un d’entre eux ne remarquait la tristesse sourde qui était au fond de cette joie, le nuage qui se levait dans ce bal azuré,